Qu'est-ce que le salaire ?
Comment est-il déterminé ?
Selon Karl Marx , "Si l'on demandait à des ouvriers : « À combien s'élève votre salaire ?», ils répondraient: l'un: « Je reçois de
mon patron 1 mark pour une journée de travail», l'autre: « Je reçois 2 marks », etc.
Suivant les diverses
branches de travail auxquelles ils appartiennent, ils énuméreraient les diverses sommes d'argent qu'ils reçoivent
de leurs patrons respectifs pour la production d'un travail déterminé, par exemple pour le tissage d'une aune de
toile ou pour la composition d'une page d'imprimerie.
Malgré la diversité de leurs déclarations, ils seront tous
unanimes sur un point: le salaire est la somme d'argent que le capitaliste paie, pour un temps de travail
déterminé ou pour la fourniture d'un travail déterminé.
Le capitaliste achète donc (semble-t-il) leur travail avec de l'argent. C'est pour de l'argent qu'ils lui vendent
leur travail.
Mais il n'en est ainsi qu'apparemment. Ce qu'ils vendent en réalité au capitaliste pour de l'argent,
c'est leur force de travail.
Le capitaliste achète cette force de travail pour un jour, une semaine, un mois, etc.
Et, une fois qu'il l'a achetée, il l'utilise en faisant travailler l'ouvrier pendant le temps stipulé.
Pour cette même
somme d'argent avec laquelle le capitaliste a acheté sa force de travail, par exemple pour 2 marks, il aurait pu
acheter deux livres de sucre ou une quantité déterminée d'une autre marchandise quelconque.
Les 2 marks
avec lesquels il a acheté deux livres de sucre sont le prix de deux livres de sucre.
Les 2 marks avec lesquels il a
acheté douze heures d'utilisation de la force de travail sont le prix des douze heures de travail.
La force de travail
est donc une marchandise, ni plus, ni moins que le sucre.
On mesure la première avec la montre et la seconde
avec la balance.
Leur marchandise, la force de travail, les ouvriers l'échangent contre la marchandise du capitaliste, contre
l'argent, et, en vérité, cet échange a lieu d'après un rapport déterminé.
Tant d'argent pour tant de durée
d'utilisation de la force de travail.
Pour douze heures de tissage, 2 marks. Et ces 2 marks ne représentent-ils pas
toutes les autres marchandises que je puis acheter pour 2 marks ? L'ouvrier a donc bien échangé une
marchandise, la force de travail, contre des marchandises de toutes sortes, et cela suivant un rapport déterminé.
En lui donnant 2 marks, le capitaliste lui a donné tant de viande, tant de vêtements, tant de bois, de lumière, etc., en échange de sa journée de travail.
Ces 2 marks expriment donc le rapport suivant lequel la force de travail est
échangée contre d'autres marchandises, la valeur d'échange de la force de travail.
La valeur d'échange d'une
marchandise, évaluée en argent, c'est précisément ce qu'on appelle son prix.
Le salaire n'est donc que le nom
particulier donné au prix de la force de travail appelé d'ordinaire prix du travail, il n'est que le nom donné au prix
de cette marchandise particulière qui n'est en réserve que dans la chair et le sang de l'homme.
Prenons le premier ouvrier venu, par exemple, un tisserand. Le capitaliste lui fournit le métier à tisser et le
fil.
Le tisserand se met au travail et le fil devient de la toile.
Le capitaliste s'approprie la toile et la vend 20 marks
par exemple.
Le salaire du tisserand est-il alors une part de la toile, des 20 marks, du produit de son travail ?
Pas du tout. Le tisserand a reçu son salaire bien avant que la toile ait été vendue et peut-être bien avant qu'elle
ait été tissée.
Le capitaliste ne paie donc pas ce salaire avec l'argent qu'il va retirer de la toile, mais avec de
l'argent accumulé d'avance.
De même que le métier à tisser et le fil ne sont pas le produit du tisserand auquel ils
ont été fournis par l'employeur, les marchandises qu'il reçoit en échange de sa marchandise, la force de travail,
ne le sont pas davantage.
Il peut arriver que le capitaliste ne trouve pas d'acheteur du tout pour sa toile.
Il peut
arriver qu'il ne retire pas même le salaire de sa vente.
Il peut arriver qu'il la vende de façon très avantageuse par
rapport au salaire du tisserand.
Tout cela ne regarde en rien le tisserand.
Le capitaliste achète avec une partie
de sa fortune actuelle, de son capital, la force de travail du tisserand tout comme il a acquis, avec une autre
partie de sa fortune, la matière première, le fil, et l'instrument de travail, le métier à tisser. Après avoir fait ces
achats, et parmi ces achats il y a aussi la force de travail nécessaire à la production de la toile, il ne produit plus
qu'avec des matières premières et des instruments de travail qui lui appartiennent à lui seul. Car, de ces derniers
fait aussi partie notre brave tisserand qui, pas plus que le métier à tisser, n'a sa part du produit ou du prix de
celui-ci.
Le salaire n'est donc pas une part de l'ouvrier à la marchandise qu'il produit. Le salaire est la partie de
marchandises déjà existantes avec laquelle le capitaliste s'approprie par achat une quantité déterminée de
force de travail productive.
La force de travail est donc une marchandise que son possesseur, le salarié, vend au capital. Pourquoi la
vend-il ? Pour vivre.
Mais la manifestation de la force de travail, le travail, est l'activité vitale propre à l'ouvrier, sa façon à lui de
manifester sa vie. Et c'est cette activité vitale qu'il vend à un tiers pour s'assurer les moyens de subsistance
nécessaires. Son activité vitale n'est donc pour lui qu'un moyen de pouvoir exister. Il travaille pour vivre.
Pour luimême, le travail n'est pas une partie de sa vie, il est plutôt un sacrifice de sa vie.
C'est une marchandise qu'il a
adjugée à un tiers. C'est pourquoi le produit de son activité n'est pas non plus le but de son activité. Ce qu'il
produit pour lui-même, ce n'est pas la soie qu'il tisse, ce n'est pas l'or qu'il extrait du puits, ce n'est pas le palais
qu'il bâtit. Ce qu'il produit pour lui-même, c'est le salaire, et la soie, l'or, le palais se réduisent pour lui à une quantité déterminée de moyens de subsistance, peut-être à un tricot de coton, à de la menue monnaie et à un
logement dans une cave. Et l'ouvrier qui, douze heures durant, tisse, file, perce, tourne, bâtit, manie la pelle,
taille la pierre, la transporte, etc., regarde-t-il ces douze heures de tissage, de filage, de perçage, de travail au
tour ou de maçonnerie, de maniement de la pelle ou de taille de la pierre comme une manifestation de sa vie,
comme sa vie ? Bien au contraire. La vie commence pour lui où cesse l’activité, à table, à l'auberge, au lit. Par
contre, les douze heures de travail n'ont nullement pour lui le sens de tisser, de filer, de percer, etc., mais celui
de gagner ce qui lui permet d'aller à table, à l'auberge, au lit. Si le ver à soie tissait pour subvenir à son existence
de chenille, il serait un salarié achevé.
à-dire du travail libre. L'esclave ne vendait pas sa force de travail au possesseur d'esclaves, pas plus que le
bœuf ne vend le produit de son travail au paysan. L'esclave est vendu, y compris sa force de travail, une fois
pour toutes à son propriétaire. Il est une marchandise qui peut passer de la main d'un propriétaire dans celle
d'un autre. Il est lui-même une marchandise, mais sa force de travail n'est pas sa marchandise. Le serf ne vend
qu'une partie de sa force de travail. Ce n'est pas lui qui reçoit un salaire du propriétaire de la terre; c'est plutôt le
propriétaire de la terre à qui il paie tribut. Le serf appartient à la terre et constitue un rapport pour le maître de la
terre. L'ouvrier libre, par contre, se vend lui-même, et cela morceau par morceau. Il vend aux enchères 8, 10, 12,
15 heures de sa vie, jour après jour, aux plus offrants, aux possesseurs des matières premières, des instruments
de travail et des moyens de subsistance, c'est-à-dire aux capitalistes. L'ouvrier n'appartient ni à un propriétaire ni
à la terre, mais 8, 10, 12, 15 heures de sa vie quotidienne appartiennent à celui qui les achète. L'ouvrier quitte le
capitaliste auquel il se loue aussi souvent qu'il veut, et le capitaliste le congédie aussi souvent qu'il le croit bon,
dès qu'il n'en tire aucun profit ou qu'il n'y trouve plus le profit escompté. Mais l'ouvrier dont la seule ressource est
la vente de sa force de travail ne peut quitter la classe tout entière des acheteurs, c'est-à-dire la classe
capitaliste, sans renoncer à l'existence. Il n'appartient pas à tel ou tel employeur, mais à la classe capitaliste, et
c'est à lui à y trouver son homme, c'est-à-dire à trouver un acheteur dans cette classe bourgeoise.
Avant de pénétrer plus avant dans les rapports entre le capital et le travail salarié, nous allons maintenant
exposer brièvement les conditions les plus générales qui entrent en ligne de compte dans la détermination du
salaire.
Le salaire est, ainsi que nous l'avons vu, le prix d'une marchandise déterminée, la force de travail. Le salaire
est donc déterminé par les mêmes lois qui déterminent le prix de toute autre marchandise.
La question qui se
pose est donc celle-ci: comment se détermine le prix d’une marchandise ?
Abordons donc la première question: Qu'est-ce que le salaire ? Comment est-il déterminé ?
Si l'on demandait à des ouvriers : « À combien s'élève votre salaire ?», ils répondraient: l'un: « Je reçois de
mon patron 1 mark pour une journée de travail», l'autre: « Je reçois 2 marks », etc. Suivant les diverses
branches de travail auxquelles ils appartiennent, ils énuméreraient les diverses sommes d'argent qu'ils reçoivent
de leurs patrons respectifs pour la production d'un travail déterminé, par exemple pour le tissage d'une aune de
toile ou pour la composition d'une page d'imprimerie. Malgré la diversité de leurs déclarations, ils seront tous
unanimes sur un point: le salaire est la somme d'argent que le capitaliste paie, pour un temps de travail
déterminé ou pour la fourniture d'un travail déterminé.
Le capitaliste achète donc (semble-t-il) leur travail avec de l'argent. C'est pour de l'argent qu'ils lui vendent
leur travail. Mais il n'en est ainsi qu'apparemment. Ce qu'ils vendent en réalité au capitaliste pour de l'argent,
c'est leur force de travail. Le capitaliste achète cette force de travail pour un jour, une semaine, un mois, etc. Et,
une fois qu'il l'a achetée, il l'utilise en faisant travailler l'ouvrier pendant le temps stipulé. Pour cette même
somme d'argent avec laquelle le capitaliste a acheté sa force de travail, par exemple pour 2 marks, il aurait pu
acheter deux livres de sucre ou une quantité déterminée d'une autre marchandise quelconque. Les 2 marks
avec lesquels il a acheté deux livres de sucre sont le prix de deux livres de sucre. Les 2 marks avec lesquels il a
acheté douze heures d'utilisation de la force de travail sont le prix des douze heures de travail. La force de travail
est donc une marchandise, ni plus, ni moins que le sucre. On mesure la première avec la montre et la seconde
avec la balance.
Leur marchandise, la force de travail, les ouvriers l'échangent contre la marchandise du capitaliste, contre
l'argent, et, en vérité, cet échange a lieu d'après un rapport déterminé. Tant d'argent pour tant de durée
d'utilisation de la force de travail. Pour douze heures de tissage, 2 marks. Et ces 2 marks ne représentent-ils pas
toutes les autres marchandises que je puis acheter pour 2 marks ? L'ouvrier a donc bien échangé une
marchandise, la force de travail, contre des marchandises de toutes sortes, et cela suivant un rapport déterminé.
En lui donnant 2 marks, le capitaliste lui a donné tant de viande, tant de vêtements, tant de bois, de lumière, etc.,
en échange de sa journée de travail. Ces 2 marks expriment donc le rapport suivant lequel la force de travail est
échangée contre d'autres marchandises, la valeur d'échange de la force de travail. La valeur d'échange d'une
marchandise, évaluée en argent, c'est précisément ce qu'on appelle son prix. Le salaire n'est donc que le nom
particulier donné au prix de la force de travail appelé d'ordinaire prix du travail, il n'est que le nom donné au prix
de cette marchandise particulière qui n'est en réserve que dans la chair et le sang de l'homme.
Prenons le premier ouvrier venu, par exemple, un tisserand. Le capitaliste lui fournit le métier à tisser et le
fil. Le tisserand se met au travail et le fil devient de la toile. Le capitaliste s'approprie la toile et la vend 20 marks
par exemple. Le salaire du tisserand est-il alors une part de la toile, des 20 marks, du produit de son travail ?
Pas du tout. Le tisserand a reçu son salaire bien avant que la toile ait été vendue et peut-être bien avant qu'elle
ait été tissée. Le capitaliste ne paie donc pas ce salaire avec l'argent qu'il va retirer de la toile, mais avec de
l'argent accumulé d'avance. De même que le métier à tisser et le fil ne sont pas le produit du tisserand auquel ils
ont été fournis par l'employeur, les marchandises qu'il reçoit en échange de sa marchandise, la force de travail,
ne le sont pas davantage. Il peut arriver que le capitaliste ne trouve pas d'acheteur du tout pour sa toile. Il peut
arriver qu'il ne retire pas même le salaire de sa vente. Il peut arriver qu'il la vende de façon très avantageuse par
rapport au salaire du tisserand. Tout cela ne regarde en rien le tisserand. Le capitaliste achète avec une partie
de sa fortune actuelle, de son capital, la force de travail du tisserand tout comme il a acquis, avec une autre
partie de sa fortune, la matière première, le fil, et l'instrument de travail, le métier à tisser. Après avoir fait ces
achats, et parmi ces achats il y a aussi la force de travail nécessaire à la production de la toile, il ne produit plus
qu'avec des matières premières et des instruments de travail qui lui appartiennent à lui seul. Car, de ces derniers
fait aussi partie notre brave tisserand qui, pas plus que le métier à tisser, n'a sa part du produit ou du prix de
celui-ci.
Le salaire n'est donc pas une part de l'ouvrier à la marchandise qu'il produit. Le salaire est la partie de
marchandises déjà existantes avec laquelle le capitaliste s'approprie par achat une quantité déterminée de
force de travail productive.
La force de travail est donc une marchandise que son possesseur, le salarié, vend au capital. Pourquoi la
vend-il ? Pour vivre.
Mais la manifestation de la force de travail, le travail, est l'activité vitale propre à l'ouvrier, sa façon à lui de
manifester sa vie. Et c'est cette activité vitale qu'il vend à un tiers pour s'assurer les moyens de subsistance
nécessaires. Son activité vitale n'est donc pour lui qu'un moyen de pouvoir exister. Il travaille pour vivre. Pour luimême, le travail n'est pas une partie de sa vie, il est plutôt un sacrifice de sa vie. C'est une marchandise qu'il a
adjugée à un tiers. C'est pourquoi le produit de son activité n'est pas non plus le but de son activité. Ce qu'il
produit pour lui-même, ce n'est pas la soie qu'il tisse, ce n'est pas l'or qu'il extrait du puits, ce n'est pas le palais
qu'il bâtit. Ce qu'il produit pour lui-même, c'est le salaire, et la soie, l'or, le palais se réduisent pour lui à une
Karl Marx, Travail salarié et capital (1849). Traduction française, 1891 10
quantité déterminée de moyens de subsistance, peut-être à un tricot de coton, à de la menue monnaie et à un
logement dans une cave. Et l'ouvrier qui, douze heures durant, tisse, file, perce, tourne, bâtit, manie la pelle,
taille la pierre, la transporte, etc., regarde-t-il ces douze heures de tissage, de filage, de perçage, de travail au
tour ou de maçonnerie, de maniement de la pelle ou de taille de la pierre comme une manifestation de sa vie,
comme sa vie ? Bien au contraire. La vie commence pour lui où cesse l’activité, à table, à l'auberge, au lit. Par
contre, les douze heures de travail n'ont nullement pour lui le sens de tisser, de filer, de percer, etc., mais celui
de gagner ce qui lui permet d'aller à table, à l'auberge, au lit. Si le ver à soie tissait pour subvenir à son existence
de chenille, il serait un salarié achevé.
La force de travail ne fut pas toujours une marchandise. Le travail ne fut pas toujours du travail salarié, c'est-
à-dire du travail libre. L'esclave ne vendait pas sa force de travail au possesseur d'esclaves, pas plus que le
bœuf ne vend le produit de son travail au paysan. L'esclave est vendu, y compris sa force de travail, une fois
pour toutes à son propriétaire. Il est une marchandise qui peut passer de la main d'un propriétaire dans celle
d'un autre. Il est lui-même une marchandise, mais sa force de travail n'est pas sa marchandise. Le serf ne vend
qu'une partie de sa force de travail. Ce n'est pas lui qui reçoit un salaire du propriétaire de la terre; c'est plutôt le
propriétaire de la terre à qui il paie tribut. Le serf appartient à la terre et constitue un rapport pour le maître de la
terre. L'ouvrier libre, par contre, se vend lui-même, et cela morceau par morceau. Il vend aux enchères 8, 10, 12,
15 heures de sa vie, jour après jour, aux plus offrants, aux possesseurs des matières premières, des instruments
de travail et des moyens de subsistance, c'est-à-dire aux capitalistes. L'ouvrier n'appartient ni à un propriétaire ni
à la terre, mais 8, 10, 12, 15 heures de sa vie quotidienne appartiennent à celui qui les achète. L'ouvrier quitte le
capitaliste auquel il se loue aussi souvent qu'il veut, et le capitaliste le congédie aussi souvent qu'il le croit bon,
dès qu'il n'en tire aucun profit ou qu'il n'y trouve plus le profit escompté. Mais l'ouvrier dont la seule ressource est
la vente de sa force de travail ne peut quitter la classe tout entière des acheteurs, c'est-à-dire la classe
capitaliste, sans renoncer à l'existence. Il n'appartient pas à tel ou tel employeur, mais à la classe capitaliste, et
c'est à lui à y trouver son homme, c'est-à-dire à trouver un acheteur dans cette classe bourgeoise.
Avant de pénétrer plus avant dans les rapports entre le capital et le travail salarié, nous allons maintenant
exposer brièvement les conditions les plus générales qui entrent en ligne de compte dans la détermination du
salaire.
Le salaire est, ainsi que nous l'avons vu, le prix d'une marchandise déterminée, la force de travail. Le salaire
est donc déterminé par les mêmes lois qui déterminent le prix de toute autre marchandise. La question qui se
pose est donc celle-ci: comment se détermine le prix d’une marchandise ?
autres aux cheveux pour abaisser le prix du coton, à un moment où leurs adversaires rivalisent entre eux pour le
faire monter. Voilà donc la paix sur-venue soudain dans l'armée des vendeurs. Ils sont comme un seul homme,
face aux acheteurs, ils se croisent philosophiquement les bras et leurs exigences ne connaîtraient pas de bornes
si les offres de ceux mêmes qui sont le plus pressés d'acheter n'avaient pas leurs limites bien déterminées.
Si donc l'offre d'une marchandise est plus faible que la demande de cette marchandise, il n'y a pas du tout
ou presque pas de concurrence parmi les vendeurs. La concurrence parmi les acheteurs croît dans la proportion
même où diminue cette concurrence. Résultat: hausse plus ou moins importante des prix de la marchandise.
On sait que le cas contraire avec son résultat inverse est beaucoup plus fréquent. Excédent considérable de
l'offre sur la demande: concurrence désespérée parmi les vendeurs; manque d'acheteurs: vente à vil prix des
marchandises.
Mais que signifie hausse, chute des prix, que signifie prix élevé, bas prix ? Un grain de sable est grand,
regardé à travers un microscope, et une tour est petite, comparée à une montagne. Et si le prix est déterminé
par le rapport entre l'offre et la demande, qu'est-ce qui détermine le rapport de l'offre et de la demande ?
Adressons-nous au premier bourgeois venu. Il n'hésitera pas un instant et, tel un nouvel Alexandre le
Grand, il tranchera d'un seul coup ce nœud gordien métaphysique à l'aide du calcul élémentaire. Si la production
de la marchandise que je vends m'a coûté 100 marks, nous dira-t-il, et si je retire de la vente de cette
marchandise 110 marks —au bout d'un an, entendons-nous —, c'est un gain civil, honnête, convenable. Mais si
j'obtiens en échange 120, 130 marks, c'est alors un gain élevé; et si j'en tirais 200 marks, ce serait alors un gain
exceptionnel, énorme. Qu'est-ce qui sert donc au bourgeois à mesurer son gain ? Les frais de production de sa
marchandise. S'il reçoit en échange de cette marchandise une somme d'autres marchandises dont la production
a moins coûté, il a fait une perte. S'il reçoit en échange de sa marchandise une somme de marchandises dont la
production a coûté davantage, il a réalisé un gain. Et cette baisse ou cette hausse du gain, il la calcule suivant
les proportions dans lesquelles la valeur d'échange de sa marchandise se tient au-dessous ou au-dessus de
zéro, c'est-à-dire des frais de production.
Mais nous avons vu comment les rapports variables entre l'offre et la demande provoquent tantôt la hausse,
tantôt la baisse, entraînant tantôt des prix élevés, tantôt des prix bas.
Si le prix d'une marchandise monte considérablement par suite d'une offre insuffisante ou d'une demande
qui croît démesurément, le prix d'une autre marchandise quelconque a baissé nécessairement en proportion; car
le prix d'une marchandise ne fait qu'exprimer en argent les rapports d'après lesquels de tierces marchandises
sont échangées contre elle. Si, par exemple, le prix d'une aune d'étoffe de soie monte de 5 à 6 marks, le prix de
l'argent a baissé relativement à l'étoffe de soie et le prix de toutes les autres marchandises qui sont restées à
leur ancien prix a baissé de même par rapport à l'étoffe de soie. Il faut en donner une plus grande quantité en
échange pour recevoir la même quantité d'étoffe de soie.
Quelle sera la conséquence du prix croissant d'une marchandise ? Les capitaux se jetteront en masse sur la
branche d'industrie florissante et cette immigration des capitaux dans le domaine de l'industrie favorisée
persistera jusqu'à ce que celle-ci rapporte les gains habituels ou plutôt jusqu'au moment où le prix de ses
produits descendra, par suite de surproduction, au-dessous des frais de production.
Inversement. Si le prix d'une marchandise tombe au-dessous des frais de production, les capitaux se
retireront de la production de cette marchandise. Si l'on excepte le cas où une branche de production n'étant
plus d'époque ne peut moins faire que de disparaître, la production de cette marchandise, c'est-à-dire son offre,
va diminuer par suite de cette fuite des capitaux jusqu'à ce qu'elle corresponde à la demande, par conséquent,
jusqu'à ce que son prix se relève à nouveau au niveau de ses frais de production ou plutôt jusqu'à ce que l'offre
soit tombée au-dessous de la demande, c'est-à-dire jusqu'à ce que son prix se relève au-dessus de ses frais de
production, car le prix courant d’une marchandise est toujours au-dessous ou au-dessus de ses frais de
production.
Nous voyons que les capitaux émigrent et immigrent constamment, passant du domaine d'une industrie
dans celui d'une autre, un prix élevé provoquant une trop forte immigration et un prix bas une trop forte
émigration.
Nous pourrions montrer d'un autre point de vue que non seulement l'offre, mais aussi la demande est
déterminée par les frais de production. Mais cela nous entraînerait trop loin de notre sujet.
Nous venons de voir que les oscillations de l'offre et de la demande ramènent toujours à nouveau le prix
d'une marchandise à ses frais de production. Le prix réel d'une marchandise est certes toujours au-dessus ou
au-dessous de ses frais de production; mais la hausse et la baisse se complètent mutuellement, de sorte que,
dans les limites d'une période de temps déterminée, si l'on fait le total du flux et du reflux de l'industrie, les
marchandises sont échangées entre elles conformément à leurs frais de production, c'est-à-dire que leur prix est
déterminé par leurs frais de production.
Cette détermination du prix par les frais de production ne doit pas être comprise dans le sens des
économistes. Les économistes disent que le prix moyen des marchandises est égal aux frais de production; que
telle est la loi. Ils considèrent comme un fait du hasard le mouvement anarchique par lequel la hausse est compensée par la baisse, et la baisse par la hausse. On pourrait considérer avec autant de raison, comme cela est
arrivé d'ailleurs à d'autres économistes, les oscillations comme étant la loi, et la détermination par les frais de
production comme étant le fait du hasard. Mais ce sont ces oscillations seules qui, regardées de plus près,
entraînent les dévastations les plus terribles et, pareilles à des tremblements de terre, ébranlent la société
bourgeoise jusque dans ses fondements, ce sont ces oscillations seules qui, au fur et à mesure qu'elles se
produisent, déterminent le prix par les frais de production. C'est l'ensemble du mouvement de ce désordre qui
est son ordre même. C'est au cours de cette anarchie industrielle, c'est dans ce mouvement en rond que la
concurrence compense pour ainsi dire une extravagance par l'autre.
Nous voyons donc ceci: le prix d'une marchandise est déterminé par ses frais de production de telle façon
que les moments où le prix de cette marchandise monte au-dessus de ses frais de production sont compensés
par les moments où il s'abaisse au-dessous des frais de production, et inversement. Naturellement, cela n'est
pas vrai pour un seul produit donné d'une industrie, mais seulement pour toute la branche industrielle. Cela n'est
donc pas vrai non plus pour un industriel pris isolément, mais seulement pour toute la classe des industriels.
La détermination du prix par les frais de production est identique à la détermination du prix par le temps de
travail qui est nécessaire à la production d'une marchandise, car les frais de production se composent 1º de
matières premières et de l'usure d'instruments, c'est-à-dire de produits industriels dont la production a coûté un
certain nombre de journées de travail, et qui représentent par conséquent une certaine somme de temps de
travail et 2º de travail immédiat dont la mesure est précisément le temps.
Or, ces mêmes lois générales qui règlent le prix des marchandises en général, règlent naturellement aussi
le salaire, le prix du travail.
Le salaire du travail va tantôt monter, tantôt baisser, suivant les rapports entre l'offre et la demande, suivant
la forme que prend la concurrence entre les acheteurs de la force de travail, les capitalistes, et les vendeurs de
la force de travail, les ouvriers. Aux fluctuations des prix des marchandises en général correspondent les
fluctuations du salaire. Mais dans les limites de ces fluctuations, le prix du travail sera déterminé par les frais de
production, par le temps de travail qui est nécessaire pour produire cette marchandise, la force de travail.
Or, quels sont les frais de production de la force de travail elle-même ?
Ce sont les frais qui sont nécessaires pour conserver l'ouvrier en tant qu'ouvrier et pour en faire un ouvrier.
Aussi, moins un travail exige de temps de formation professionnelle, moins les frais de production de
l'ouvrier sont grands et plus le prix de son travail, son salaire, est bas. Dans les branches d'industrie où l'on
n'exige presque pas d'apprentissage et où la simple existence matérielle de l'ouvrier suffit, les frais de production
qui sont nécessaires à ce dernier se bornent presque uniquement aux marchandises indispensables à l'entretien
de sa vie, de manière à lui conserver sa capacité de travail. C'est pourquoi le prix de son travail sera déterminé
par le prix des moyens de subsistance nécessaires.
Cependant, il s'y ajoute encore une autre considération. Le fabricant, qui calcule ses frais de production et
d'après ceux-ci le prix des produits, fait entrer en ligne de compte l'usure des instruments de travail. Si une
machine lui coûte par exemple 1 000 marks et qu'il l'use en dix ans, il ajoute chaque année 100 marks au prix de
la marchandise pour pouvoir remplacer au bout de dix ans la machine usée par une neuve. Il faut comprendre
de la même manière, dans les frais de production de la force de travail simple, les frais de reproduction grâce
auxquels l'espèce ouvrière est mise en état de s'accroître et de remplacer les ouvriers usés par de nouveaux.
L'usure de l'ouvrier est donc portée en compte de la même façon que l'usure de la machine.
Les frais de production de la force de travail simple se composent donc des frais d'existence et de
reproduction de l'ouvrier. Le prix de ces frais d'existence et de reproduction constitue le salaire. Le salaire ainsi
déterminé s'appelle le minimum de salaire. Ce minimum de salaire, tout comme la détermination du prix des
marchandises par les frais de production en général, joue pour l'espèce et non pour l'individu pris isolément. Il y
a des ouvriers qui, par millions, ne reçoivent pas assez pour pouvoir exister et se reproduire; mais le salaire de
la classe ouvrière tout entière est, dans les limites de ses oscillations, égal à ce minimum.
Maintenant que nous avons fait la clarté sur les lois les plus générales qui régissent le salaire ainsi que le
prix de toute autre marchandise, nous pouvons entrer plus avant dans notre sujet.
III
Le capital se compose de matières premières, d'instruments de travail et de moyens de subsistance de
toutes sortes qui sont employés à produire de nouvelles matières premières, de nouveaux instruments de travail
et de nouveaux moyens de subsistance. Toutes ces parties constitutives sont des créations du travail, des
produits du travail, du travail accumulé. Le travail accumulé qui sert de moyen pour une nouvelle production est
du capital.
C'est ainsi que parlent les économistes.
Qu'est-ce qu'un esclave nègre ? Un homme de race noire. Cette explication a autant de valeur que la
première .
Un nègre est un nègre. C'est seulement dans des conditions déterminées qu'il devient esclave. Une
machine à filer le coton est une machine pour filer le coton. C'est seulement dans des conditions déterminées
qu'elle devient du capital. Arrachée à ces conditions, elle n'est pas plus du capital que l'or n'est par lui-même de
la monnaie ou le sucre, le prix du sucre.
Dans la production, les hommes n'agissent pas seulement sur la nature, mais aussi les uns sur les autres.
Ils ne produisent qu'en collaborant d'une manière déterminée et en échangeant entre eux leurs activités. Pour
produire, ils entrent en relations et en rapports déterminés les uns avec les autres, et ce n'est que dans les
limites de ces relations et de ces rapports sociaux que s'établit leur action sur la nature, la production.
Suivant le caractère des moyens de production, ces rapports sociaux que les producteurs ont entre eux, les
conditions dans lesquelles ils échangent leurs activités et prennent part à l'ensemble de la production seront tout
naturellement différents. Par la découverte d'un nouvel engin de guerre, l'arme à feu, toute l'organisation interne
de l'armée a été nécessairement modifiée ; les conditions dans lesquelles les individus constituent une armée et
peuvent agir en tant qu'armée se sont trouvées transformées, et les rapports des diverses armées entre elles en
ont été changés également.
Donc, les rapports sociaux suivant lesquels les individus produisent, les rapports sociaux de production,
changent, se transforment avec la modification et le développement des moyens de production matériels, des
forces de production. Dans leur totalité, les rapports de production forment ce qu'on appelle les rapports sociaux,
la société, et, notamment, une société à un stade de développement historique déterminé, une société à
caractère distinctif original. La société antique, la société féodale, la société bourgeoise sont des ensembles de
rapports de production de ce genre dont chacun caractérise en même temps un stade particulier de
développement dans l'histoire de l'humanité.
Le capital représente, lui aussi, des rapports sociaux. Ce sont des rapports bourgeois de production, des
rapports de production de la société bourgeoise. Les moyens de subsistance, les instruments de travail, les
matières premières dont se compose le capital n'ont-ils pas été produits et accumulés dans des conditions sociales données, suivant des rapports sociaux déterminés ? Ne sont-ils pas employés pour une nouvelle production
dans des conditions sociales données, suivant des rapports sociaux déterminés ? Et n'est-ce point précisément
ce caractère social déterminé qui transforme les produits servant à la nouvelle production en capital ?
Le capital ne consiste pas seulement en moyens de subsistance, en instruments de travail et en matières
premières, il ne consiste pas seulement en produits matériels; il consiste au même degré en valeurs d'échange.
Tous les produits dont il se compose sont des marchandises. Le capital n'est donc pas seulement une somme
de produits matériels, c'est aussi une somme de marchandises, de valeurs d'échange, de grandeurs sociales.
Le capital reste le même, que nous remplacions la laine par le coton, le blé par le riz, les chemins de fer par
les bateaux à vapeur, à cette seule condition que le coton, le riz, les bateaux à vapeur—la matière du capital—
aient la même valeur d'échange, le même prix que la laine, le blé, les chemins de fer dans lesquels il était
incorporé auparavant. La matière du capital peut se modifier constamment sans que le capital subisse le
moindre changement.
Mais si tout capital est une somme de marchandises, c'est-à-dire de valeurs d'échange, toute somme de
marchandises, de valeurs d'échange, n'est pas encore du capital.
Toute somme de valeurs d'échange est une valeur d'échange. Chaque valeur d'échange est une somme de
valeurs d'échange. Par exemple, une maison qui vaut 1 000 marks est une valeur d'échange de 1 000 marks. Un
morceau de papier qui vaut un pfennig est une somme de valeurs d'échange de 100/100 de pfennig. Des
produits qui sont échangeables contre d'autres sont des marchandises. Le rapport déterminé suivant lequel ils
sont échangeables constitue leur valeur d'échange, ou, exprimé en argent, leur prix. La masse de ces produits
ne peut rien changer à leur destination d'être une marchandise ou de constituer une valeur d'échange, ou d'avoir
un prix déterminé. Qu'un arbre soit grand ou petit, il reste un arbre. Que nous échangions du fer par onces ou
par quintaux contre d'autres produits, cela change-t-il son caractère qui est d'être une marchandise, une valeur
d'échange ? Suivant sa masse, une marchandise a plus ou moins de valeur, elle est d'un prix plus élevé ou plus
bas.
Mais comment une somme de marchandises, de valeurs d'échange, se change-t-elle en capital ?
Par le fait que, en tant que force sociale indépendante, c'est-à-dire en tant que force d'une partie de la
société, elle se conserve et s'accroît par son échange contre la force de travail immédiate, vivante. L'existence
d'une classe ne possédant rien que sa capacité de travail est une condition première nécessaire du capital.
Ce n'est que la domination de l'accumulation du travail passé, matérialisé, sur le travail immédiat, vivant, qui
transforme le travail accumulé en capital.
Le capital ne consiste pas dans le fait que du travail accumulé sert au travail vivant de moyen pour une
nouvelle production. Il consiste en ceci que le travail vivant sert de moyen au travail accumulé pour maintenir et
accroître la valeur d'échange de celui-ci.
Que se passe-t-il dans l'échange entre le capitaliste et le salarié ?
L'ouvrier reçoit des moyens de subsistance en échange de sa force de travail, mais le capitaliste, en
échange de ses moyens de subsistance, reçoit du travail, l'activité productive de l'ouvrier, la force créatrice au
moyen de laquelle l'ouvrier non seulement restitue ce qu'il consomme, mais donne au travail accumulé une
valeur plus grande que celle qu'il possédait auparavant. L'ouvrier reçoit du capitaliste une partie des moyens de
subsistance existants. À quoi lui servent ces moyens de subsistance ? À sa consommation immédiate. Mais dès
que je consomme des moyens de subsistance, ils sont irrémédiablement perdus pour moi, à moins que j'utilise le
temps pendant lequel ces moyens assurent mon existence pour produire de nouveaux moyens de subsistance,
pour créer par mon travail de nouvelles valeurs à la place des valeurs que je fais disparaître en les consommant.
Mais c'est précisément cette noble force de production nouvelle que l'ouvrier cède au capital en échange des
moyens de subsistance qu'il reçoit ! Par conséquent, elle s'en trouve perdue par lui-même.
Prenons un exemple. Un fermier donne à son journalier 5 groschen-argent par jour. Pour ces 5 groschen,
celui-ci travaille toute la journée dans les champs du fermier et lui assure ainsi un revenu de 10 groschen. Le
fermier ne se voit pas seulement restituer les valeurs qu'il doit céder au journalier, il les double. Il a donc utilisé,
consommé, les 5 groschen qu'il a donnés au journalier d'une façon féconde, productive. Il a précisément acheté
pour ces 5 groschen le travail et la force du journalier qui font pousser des produits du sol pour une valeur
double et qui transforment 5 groschen en 10 groschen. Par contre, le journalier reçoit à la place de sa force
productive, dont il a cédé les effets au fermier, 5 groschen qu'il échange contre des moyens de subsistance qu'il
consomme plus ou moins rapidement. Les 5 groschen ont donc été consommés de double façon, de façon
reproductive pour le capital, car ils ont été échangés contre une force de travail 1 qui a rapporté 10 groschen; de
façon improductive pour l'ouvrier, car ils ont été échangés contre des moyens de subsistance qui ont disparu
pour toujours et dont il ne peut recevoir de nouveau la valeur qu'en répétant le même échange avec le fermier.
Le capital suppose donc le travail salarié, le travail salarié suppose le capital. Ils sont la condition l'un de l'autre;
ils se créent mutuellement.
L'ouvrier d'une fabrique de coton ne produit-il que des étoffes de coton ? Non, il produit du capital. Il produit
des valeurs qui servent à leur tour à commander son travail, afin de créer au moyen de celui-ci de nouvelles
valeurs.
Le capital ne peut se multiplier qu'en s'échangeant contre de la force de travail, qu'en créant du travail
salarié. La force de travail de l'ouvrier salarié ne peut s'échanger que contre du capital, en accroissant le capital,
en renforçant la puissance dont il est l'esclave. L'accroissement du capital est par conséquent l'accroissement du
prolétariat, c'est-à-dire de la classe ouvrière.
L'intérêt du capitaliste et de l'ouvrier est donc le même, prétendent les bourgeois et leurs économistes. En
effet! L'ouvrier périt si le capitaliste ne l'occupe pas. Le capital disparaît s'il n'exploite pas la force de travail, et
pour l'exploiter il faut qu'il l'achète. Plus le capital destiné à la production, le capital productif, s'accroît
rapidement, plus l'industrie, par conséquent, est florissante, plus la bourgeoisie s'enrichit, mieux vont les affaires,
plus le capital a besoin d'ouvriers et plus l'ouvrier se vend cher.
La condition indispensable pour une situation passable de l'ouvrier est donc la croissance aussi rapide que
possible du capital productif.
Mais qu'est-ce que la croissance du capital productif ? C'est la croissance de la puissance du travail
accumulé sur le travail vivant, c'est la croissance de la domination de la bourgeoisie sur la classe laborieuse.
Lorsque le travail salarié produit la richesse étrangère qui le domine, la force qui lui est hostile, le capital, ses
moyens d'occupation, c'est-à-dire ses moyens de subsistance, refluent de celui-ci vers lui à condition qu'il
devienne de nouveau une partie du capital, le levier qui imprime de nouveau à celui-ci un mouvement de
croissance accéléré.
Quand on dit: Les intérêts du capital et les intérêts des ouvriers sont les mêmes, cela signifie seulement que
le capital et le travail salarié sont deux aspects d'un seul et même rapport. L'un est la conséquence de l'autre
comme l'usurier et le dissipateur s'engendrent mutuellement.
Tant que l'ouvrier salarié est ouvrier salarié, son sort dépend du capital. Telle est la communauté d'intérêts
tant vantée de l'ouvrier et du capitaliste.
Résumons-nous: Plus le capital producteur s'accroît, plus la division du travail et l'emploi du
machinisme prennent de l'extension; plus la division du travail et l'emploi du machinisme prennent de
l'extension, plus la concurrence gagne parmi les ouvriers et plus leur salaire se resserre.
Ajoutons encore que la classe ouvrière se recrute dans les couches supérieures de la société. Il s'y précipite
une masse de petits industriels et de petits rentiers qui n'ont rien de plus pressé que de lever les bras à côté de
ceux des ouvriers. C'est ainsi que la forêt des bras qui se lèvent pour demander du travail se fait de plus en plus
épaisse et les bras eux-mêmes de plus en plus maigres.
Il est de toute évidence que le petit industriel ne peut pas résister dans une guerre dont une des conditions
premières est de produire à une échelle toujours plus grande, c'est-à-dire d'être un gros et non point un petit
industriel.
Que l'intérêt du capital diminue au fur et à mesure que la masse et le nombre des capitaux augmentent, que
le capital s'accroît, que par conséquent le petit rentier ne peut plus vivre de sa rente, qu'il lui faut par conséquent
se rejeter sur l'industrie, c'est-à-dire aider à grossir les rangs des petits industriels et de cette façon les candidats
au prolétariat, tout cela n'a pas besoin de plus ample explication.
Au fur et à mesure, enfin, que les capitalistes sont contraints par le mouvement décrit plus haut d'exploiter à
une échelle plus grande les moyens de production gigantesques déjà existants, et, dans ce but, de mettre en
action tous les ressorts du crédit, les tremblements de terre industriels—au cours desquels le monde commercial
ne se maintient qu'en sacrifiant aux dieux des Enfers une partie de la richesse, des produits et même des forces
de production —deviennent plus nombreux, en un mot, les crises augmentent. Elles deviennent de plus en plus
fréquentes et de plus en plus violentes déjà du fait que, au fur et à mesure que la masse des produits et, par
conséquent, le besoin de marchés élargis s'accroissent, le marché mondial se rétrécit de plus en plus et qu'il
reste de moins en moins de marchés à exploiter, car chaque crise antérieure a soumis au commerce mondial un
marché non conquis jusque-là ou exploité de façon encore superficielle par le commerce. Mais le capital ne vit
pas seulement du travail. Maître à la fois distingué et barbare, il entraîne dans sa tombe les cadavres de ses
esclaves, des hécatombes entières d'ouvriers qui sombrent dans les crises.
Ainsi, nous voyons que lorsque le capital s'accroît rapidement, la concurrence entre les ouvriers s'accroît de
manière infiniment plus rapide, c'est-à-dire que les moyens d'occupation, les moyens de subsistance pour la
classe ouvrière diminuent proportionnellement d'autant plus et que, néanmoins, l'accroissement rapide du capital
est la condition la plus favorable pour le travail salarié.
Déjà expliqué:
Salaire = prix de la marchandise.
La détermination du salaire coïncide donc en général avec la détermination générale du prix.
Activité humaine = marchandise.
La manifestation de la vie — l'activité vitale— apparaît comme simple moyen: le phénomène dissocié de cette
activité comme but.
En tant que marchandise, le salaire dépend de la concurrence de l'offre et de la demande.
L'offre elle-même dépend des frais de production, c'est-à-dire du temps de travail nécessaire à la production
d'une marchandise.
Rapport inverse entre le profit et le salaire. Antagonisme des deux classes dont le profit et le salaire sont
l'existence économique.
Lutte pour augmentation ou baisse du salaire. Associations ouvrières.
Prix moyen ou normal du travail; le minimum n'a de valeur que pour la classe des ouvriers et non pour l'ouvrier
pris isolément. Coalition des ouvriers pour maintien des salaires.
Influence de la suppression des impôts, des droits de douane protecteurs, de la réduction des armées, etc., sur le salaire. Le minimum déterminé en moyenne est égal au prix des moyens de subsistance nécessaires."
Source : Travail salarié et capital (1849) . Traduction française, 1891
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