Le franc CFA est né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire internationale (FMI). Il signifie alors "franc des Colonies Françaises d’Afrique".
Il prendra par la suite la dénomination de "franc de la Communauté Financière Africaine" pour les Etats membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), et "franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale" pour les pays membres de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC) .
Depuis sa création , cette monnaie a connu plusieurs reformes . Mais , la plus catastrophique et la plus connue est la dévaluation . Comment on a imposé la dévaluation du Franc Cfa ?
Retrouvez la réponse dans ce ce témoignage de Géraldine Faes, journaliste, Jeune Afrique .
"Exténué, Michel Roussin, le ministre français de la Coopération s’effondre dans un fauteuil de la suite qu’il occupe au cinquième étage du Méridien Président de Dakar. C’est fait. Il est un peu plus de 20h50, ce 11 janvier 1994, et le franc CFA vient d’être officiellement dévalué de 50 %, après quarante-six ans de parité fixe avec le franc français. “Il y a eu la colonisation, la loi-cadre, les indépendances et la dévaluation... C’est un moment historique” murmure le ministre. En bas, dans le hall gigantesque du Palace sénégalais, les chefs d’Etat africains fuient une presse déchaînée qui, exaspérée par deux jours de vaine attente dans les couloirs, les assaille sans ménagements : “Alors, vous avez finalement 109 cédé ? Que s’est-il passé ? Ne pouviez-vous pas éviter cette catastrophe ?” Mais après dix-sept heures d’un huis clos éprouvant, Paul Biya, Abdou Diouf, Omar Bongo et les autres n’ont visiblement aucune envie de commenter ce que les Africains de la Zone franc appelleront désormais, à tort ou à raison, “le lâchage français”. Déçu du mutisme de son président, un journaliste burkinabé aperçoit dans la foule un membre de la délégation de la Banque mondiale et entreprend de le rattraper en râlant : “De toute façon, ce sont eux qui ont tout décidé. Autant prendre les informations à la source.”
Ce journaliste ne fait que reprendre un sentiment partagé par tous ceux qui, depuis des mois, suivent l’interminable feuilleton de cette dévaluation-arlésienne : celui d’une décision arrachée aux forceps, à grands coups de chantages et de menaces, par des institutions internationales décidées coûte que coûte à mettre en œuvre la dernière potion magique économique élaborée pour une Afrique en perdition, sans son accord et sans même que son avis soit requis.
L’histoire commence en 1991. A la fin de cette année-là, l’échec de la politique “d’ajustement réel” menée depuis plus de dix ans par les Etats africains, à la demande des bailleurs de fonds, est consommé. Les réformes économiques structurelles exigées comme préalables à la poursuite de l’aide internationale piétinent – au mieux – ou sont inexistantes. La part de l’Afrique dans le commerce mondial n’en finit pas de régresser, le continent s’appauvrit et les pays de la Zone franc, loin de s’en sortir mieux que leurs voisins, enregistrent des résultats souvent moins bons que ces derniers...1 Prenant acte de ce constat – qui revient à admettre, outre la mauvaise gestion des dirigeants africains, l’inefficacité des fameux programmes d’ajustement structurels (PAS) concoctés depuis 1979 à Washington – la Banque Mondiale et le FMI changent de stratégie. Et décident que seul un “ajustement monétaire” permettra en réalité aux économies africaines de devenir compétitives.
Seul problème : à Paris, où l’on se montre soucieux des risques politiques et des troubles sociaux qu’un changement de parité pourrait entraîner, la simple évocation d’une dévaluation déclenche des tollés de protestation chez les politiciens. Leur mécontentement est relayé, et largement alimenté, par les industriels français implantés sur le continent qui redoutent de voir leur patrimoine africain perdre la moitié de sa valeur.
Qu’à cela ne tienne. Pour faire plier la France, les institutions de Bretton-Woods, qui savent qu’elles peuvent compter sur le soutien discret mais essentiel du Trésor français, adoptent une tactique très simple : fin 1991, elles refusent de renouveler leur programme d’assistance à la Côte d’Ivoire. Pour obtenir les crédits attendus, Abidjan doit d’abord s’acquitter de ses arriérés de paiement envers la Banque mondiale, qui s’élèvent à quelque 600 millions de francs français. A moins que... A moins, fait-on comprendre au premier ministre Allassane Ouattara, que son pays n’accepte et n’encourage une dévaluation du CFA. Les Ivoiriens se tournent vers Paris. Et expliquent qu’il faut soit les aider à payer leurs dettes, soit accepter le principe d’un changement de parité. A l’époque, les partisans d’un électrochoc monétaire sont encore rares et la mort dans l’âme, le Trésor lâche les 600 millions. Mais le ver est dans le fruit. La France n’a, à l’évidence, ni les moyens ni l’envie de financer toute seule les déficits budgétaires africains. Encore moins de régler leurs dettes. Qu’elle le veuille ou non, elle doit donc, comme l’Afrique, se plier au diktat de la Banque et du Fonds. Qu’importe alors la pertinence de la décision prise, qu’importe les risques d’explosion sociale...
Tenus à l’écart mais suffisamment perspicaces pour comprendre l’enjeu du bras de fer qui oppose, au cours de l’hiver 1992 et du premier trimestre 1993, le dernier carré des “anti” aux “pro” dévaluationnistes parisiens, les chefs d’Etat africains décident, dans la foulée d’un sommet de l’Union monétaire ouest-africaine qui se tient à Dakar, de venir donner un avis qu’à ce stade, personne n’a songé à solliciter. Le 31 juillet, Houphouët-Boigny, Abdou Diouf, Omar Bongo et Biaise Compaoré se rendent en 111 délégation à l’Elysée pour réaffirmer devant François Mitterrand leur hostilité à un changement de parité. “Fort bien, leur répond le président. Mais vous devez, dans ces conditions, impérativement vous entendre avec la Banque et le Fonds et mettre en œuvre des mesures d’ajustement réel.” Ce qui est en réalité une pirouette quelque peu hypocrite – Mitterrand sait que l’entente avec la Banque passe par la dévaluation – offre, momentanément, un répit aux pays de la Zone franc.
Mais les réformes de fonds ne suivent pas et les rumeurs annonçant la dévaluation comme imminente se multiplient, entraînant une fuite massive de capitaux. Sentant la victoire toute proche, la Banque et le Fonds maintiennent leur pression “à l’Ivoirienne”, gelant pour cause d’arriérés les Programmes en cours dans de nombreux pays, mais précisant à chaque fois qu’en cas d’ajustement monétaire, on pourrait à nouveau compter sur leur aide précieuse.
Entre-temps, en mars 1993, le nouveau gouvernement français reprend le dossier et estime à son tour qu’une dévaluation est indispensable pour décharger la France de financements qu’elle ne peut plus se permettre d’accorder à l’Afrique. Anne Le Lorier, conseiller économique d’Edouard Balladur, mais aussi Jean-Michel Sévérino, directeur des études et du développement au ministère de la Coopération, planchent en secret sur différents modèles mathématiques et estiment, finalement, qu’un taux de 50 % serait souhaitable. Une stratégie commune est mise au point avec le FMI et la Banque mondiale. Paris et Washington n’hésitent pas, au besoin, à enjoliver quelque peu les évaluations prospectives de l’après-dévaluation pour les rendre plus convaincantes... Seules les “mesures d’accompagnement” supposées corriger dans un premier temps les retombées sociales du changement de parité font l’objet de désaccords et sont âprement négociées, la France craignant une déstablisation politique et des émeutes, dans des pays fragilisés par les processus de démocratisation en cours. Fin août, tout est prêt. Le 25 septembre, Libération révèle la date (janvier) et le taux arrêtés.2 A ce stade, les chefs d’Etat africains de la Zone franc n’ont toujours pas été informés et encore moins associés à une décision qui, pourtant, sera l’une des plus importantes que l’Afrique d’après les indépendances ait connue... Au cours du dernier trimestre 1993 enfin, alors que l’ensemble du Plan est bouclé et que de rares détails peuvent encore être modifiés, des émissaires sont envoyés dans les capitales africaines pour mettre les dirigeants devant le fait accompli. Le discours est simple : “La France a décidé, à partir du 31 décembre, de ne plus effectuer de décaissements en faveur des pays qui ne seraient pas en règle avec les institutions financières internationales.” Autrement dit, soit vous dévaluez, soit vous renoncez définitivement à toute aide extérieure. Face à une telle alternative, seuls le Sénégalais Abdou Diouf et le Gabonais Omar Bongo tentent un baroud d’honneur. En vain : “cela ne sert à rien que je dépose le dossier Sénégal devant notre conseil d’administration” explique très directement à Diouf Michel Camdessus, directeur du FMI. “Tant qu’il n’y aura pas eu de dévaluation, ils ne le liront pas.”
Quant à Bongo, il refusera jusqu’au dernier jour d’accepter la mesure, obtenant finalement, à défaut d’avoir gain de cause, quelques concessions supplémentaires pour son pays... Quand s’ouvre, le 10 janvier 1994 à Dakar, le sommet des chefs d’Etat de la Zone franc officiellement réunis pour discuter du sort de la compagnie aérienne Air Afrique, les jeux sont donc faits. Sur quatorze chefs d’Etat, deux seulement, l’Ivoirien Henri Konan Bédié et le Béninois Nicéphore Soglo, sont de fervents partisans de la dévaluation. Les autres, amers, furieux d’être les victimes impuissantes d’une décision qui concerne leur propre monnaie et, plus largement, l’avenir de leurs populations, manifesteront leur colère en entretenant le suspense jusqu’au bout, ne signant finalement le document final, dans la soirée du 11 janvier, qu’avec une mauvaise grâce ostentatoire. La veille, Michel Roussin avait, dans un discours prononcé à huis clos, affirmé sans ciller : “Il est urgent que vous preniez une décision. Repousser décision et mise en œuvre serait prendre des risques immenses.” Le “Vous” n’a trompé personne. Et certainement pas les populations africaines, comme le résume cette formule de l’Union, le quotidien gouvernemental gabonais : “Après le boom de la démocratie, nous voilà dans le krach de la dévaluation. Le tout, imposé par les capitales occidentales, devenues plus que jamais maîtresses de notre destin.” "
NOTES :
1 David Stasavage, “La chute de la maison CFA”, Politique internationale, n° 63, printemps 1994, pp. 390-394.
2 Stephen Smith, “Franc CFA : le scénario de la dévaluation est écrit”, Libération, 25 septembre 1993.
SOURCE :
Témoignage de Géraldine Faes, journaliste, Jeune Afrique, Paris
Géraldine Faes , p. 109-113
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