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A la rencontre des demandeurs d'asile en France

Dernière mise à jour : 29 août 2019

“ Je me sens dans un enfer sur terre dans ce pays qui se veut un pays des droits de l’homme “ . Ces mots employés par Mohamed pour décrire ses expériences en tant que demandeur d’asile en France expliquent sa déception et sa révolte vis-à-vis de ses conditions de vie qui lui semblent inhumaines et indignes des sociétés de droits de l’homme .

Ces réalités nous obligent à nous interroger sur les conditions de vie des demandeurs d’asile en France .

Dans leur recherche de protection internationale , les personnes demandant la reconnaissance de leur qualité de réfugié sont confrontées à un système régi par des droits et des obligations spécifiques : le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile . Dans le cadre de la procédure d’asile, l’État français est à la fois garant de la subsistance des individus, en satisfaisant leurs besoins de première nécessité, et de l’application des lois relatives à l’asile, en mettant en œuvre l’instruction des demandes.

Cependant , depuis quelques années , en France comme dans la plupart des pays européens, les épreuves que les demandeurs d’asile doivent affronter pour accéder au statut de réfugié se sont multipliées. Dans un contexte de la montée du populisme et l’adoption des lois restrictives de l’immigration et de l’asile , la protection des frontières de l’Europe, avec une politique commune de l’immigration et de l’asile , le quotidien des demandeurs d’asile devient de plus difficile . En réalité , l’on constate que toutes ces mesures contraignantes réduisent leurs possibilités d’accès au statut de réfugié et de protection subsidiaire .

Toutefois , comment cette tendance restrictive se traduit-elle au quotidien pour les demandeurs d’asile ? Quelle expérience font-ils de ce temps d’attente encadré et rythmé par les étapes d’une procédure juridique complexe et sélective ?

Au travers de l’immersion au sein des demandeurs d’asile installés dans de nombreuses villes françaises , de la réalisation d’une enquête qualitative auprès des usagers et des acteurs associatifs , nous avons cherché à comprendre les effets des épreuves collectives liées à l’asile sur l’expérience des individus .

Cela s’est passé dans de nombreuses régions françaises .

Les contours de l’expérience d’un demandeur d’asile sont définis par le contexte dans lequel il a quitté son pays pour arriver en France .

Par conséquent , une brève présentation des causes du déplacement des demandeurs d’asile et du dispositif d'accueil est nécessaire avant d’envisager la manière dont les individus éprouvent ce dispositif .

DE L'HÉTÉROGÉNÉITÉ DES CAUSES À LA CONFUSION DANS L’OPINION PUBLIQUE


Les causes qui poussent les demandeurs d’asile à quitter leurs pays diffèrent d’un individu à un autre . Certains sont attirés par l’illusion de l’Eldorado européen présenté par les réseaux sociaux et les médias . C’est le cas de Salif qui a quitté la Côte d’Ivoire pour rejoindre ses amis qui vivent “l’eldorado “ en France : “J’étais Gnambro à la gare d’abobo . Mais j’ai beaucoup de collègues qui sont venus en Italie . Ils me disaient que tout y allait bien . Quand on faisait des appels vidéos , ils me montraient des beaux lieux . Ils publiaient des belles photos qui avaient beaucoup de ‘j’aime’ sur facebook. Je suis donc venu , afin de vivre cet eldorado “ , déclare -t-il .

D’autres fuient leur pays pour des raisons socio-économiques : «Je suis dans l'armée depuis 2002 . Pourtant , je perçois un salaire qui me permet même pas de subvenir au minimum de mes besoins . J'ai même honte de vous dire le montant . Je n'avais plus le courage de travailler . C'est ainsi que je suis venu en Europe . Mon nom figure encore sur la liste des militaires guinéens . Mais , je savais que périr dans la mer c'est comme mourir sur un champ de bataille pour son honneur , celui de la famille et de la patrie car nul ne peut défendre sa patrie s'il est affamé » , affirme Oumarou , un ancien militaire guinéen .

Beaucoup quittent leur pays pour des problèmes socio-politique : “ J’ai fui mon pays parce que des individus ont aidé un groupe d’individus à prendre le pouvoir dans notre pays au nom du peuple contre la volonté du peuple . Ces individus abusent des droits du peuple . Ils m’ont menacé à l’image de tous ceux qui dénoncent leurs pratiques . C’est ainsi que j’ai fui pour venir ici “ , explique Bouchahda , un soudanais .

Ils passent par plusieurs moyens pour venir en France . Ceux qui ont la chance passent la voie aérienne . Mais , le passage par cette voie étant conditionné par la possession d’un visa qui n’est pas facile à obtenir , beaucoup s’orientent vers la voie maritime ( Libye , Tunisie , les balkans , … ) et la voie terrestre ( Maroc , … ) .

En France , un dispositif est mis en place pour les accueillir quelques soient leurs origines et les moyens par lesquels ils sont venus .



LE DISPOSITIF D’ACCUEIL DES DEMANDEURS D’ASILE EN FRANCE


Lorsqu’une personne entre en France pour demander l’asile , la première démarche qu’elle doit faire consiste à se rendre dans une plateforme d’accueil pour demandeurs d’asile ( SPADA) , afin de pré-enregistrer la demande d’asile et prendre un rendez- vous au sein d‘un Guichet unique pour demandeur d’asile qui réunit la préfecture et l’OFII.

Il existe 34 guichets uniques répartis sur toute la France . Cependant , depuis le 02 Mai 2018 , les rendez-vous se prennent par appels téléphoniques à l’Ile de France . Ils peuvent durer des jours ou des semaines . La durée dépend du nombre de demandeurs d’asile sur le territoire .

Pendant cette période d’attente , le demandeur d’asile doit appeler le 115 pour avoir un hébergement . Mais , de nombreuses personnes n’ont pas accès à ces hébergements parce qu’elles n’arrivent pas à joindre le numéro dont la ligne est souvent saturée ou par manque de place . Par conséquent , durant ce temps , elles dorment au dehors et mangent grâce à des associations d’aide aux migrants .

“ Je suis ici depuis une semaine . Les associations m’ont donné ce numéro ( il nous présente une feuille ) . C’est toujours occupé . Or , je demande le téléphone des gens pour appeler car je n’en ai pas . J’attends encore “ , déclare Pierre , un jeune angolais .

Le jour du rendez-vous au guichet unique , il est accueilli d’abord par un ou des agents de la préfecture pour l’enregistrement de sa demande . Lors de cette étape , on enregistre ses données personnelles ( nom , prénom , date de naissance , ...) , prend sa photo , prélève ses empreintes et détermine la procédure d’asile qui lui sera appliquée .

Si les déclarations du requérant ou le système eurodac montrent qu’avant d’entrer sur le territoire français , il a transité par un autre État membre de l’Union européenne ou y a déjà déposé une demande d’asile, la procédure dite “Dublin” s’enclenche, l’objectif étant la réadmission du requérant par l’État en question, qui sera responsable du traitement de sa demande d’asile .

Dans le cas contraire , la France est responsable de sa demande (la procédure normale) .


Le demandeur peut être également soumis à la procédure accélérée pour des raisons particulières : s’il provient d'un pays sûr , s’il a refusé de donner ses empreintes , s’il a présenté une première demande qui a été définitivement rejetée , s’il fournit de fausses informations et de faux documents dans l’intention “ d’induire les autorités en erreur “ , s’il a présenté plusieurs demandes sous des identités différentes , si la demande d’asile vise à faire échec à une mesure d’éloignement , si sa présence “constitue une menace grave pour l’ordre public , la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat” ou s’il réside sur le territoire français depuis plus de 120 jours .

Dans tous les cas , une attestation de demande d’asile lui est remise , afin de lui permettre de se maintenir régulièrement sur le territoire français . Il a les mêmes droits quelque soit son statut , sauf l’accès au centre d’accueil des demandeurs d’asile qui est réservé à ceux qui ont le statut normal .

Il se rend à l’OFII pour gérer les conditions matérielles ( allocation pour demandeurs d’asile , hébergement ) et les offres de prise en charge ( OPC) . Ces offres sont soumises à certaines contraintes , notamment :

avoir au moins 18 ans ,

être en possession de l’attestation de demandeur d’asile,

avoir accepté les conditions matérielles d'accueil , surtout l’hébergement s’il ya lieu ,

avoir des ressources mensuelles inférieures au montant du revenu de solidarité active (RSA) .

Dès son enregistrement , il peut recevoir une proposition d’hébergement dans un CADA , centres AT-SA (accueil temporaire Service de l’Asile) , PRAHDA ( Programme d’accueil et d'hébergement des demandeurs d’asile ) , CAO ( centre d’accueil et d’orientation ) … selon son statut , la région et la disponibilité des places . Il est obligé d’accepter cet hébergement . Sinon , il perd les autres formes d’aides ( allocation pour demandeur d’asile , … ) .

Dans le cas contraire , il est orienté vers des organisations susceptibles de trouver des solutions provisoires d’hébergement pour lui .

Mais , cette demande de mise à l’abri peut durer des jours avant d'être acceptée ou rejetée .

Si c’est accepté , il a accès à une structure collective ou un hôtel pour un ou plusieurs jours . “ Après des jours dans le froid , je suis hébergée pour ce weekend “ , se réjouit Angèle , une congolaise en procédure normale avec sa fille à Paris .

Si aucune place n’est disponible pour lui , il continue de contacter le 115 dans l’espoir de décrocher une nuit au chaud .

Pour faire face à cette situation , des citoyens se regroupent dans de nombreuses localités pour offrir de la nourriture et des nuits d’hébergement .

“ Après mon enregistrement , l’OFII m’a orienté vers France terre d’asile qui m’a donné une domiciliation , afin que je puisse faire des démarches administratives ( inscription au resto du coeur pour la nourriture avant le paiement de l’allocation dans 45 jours , la demande de la CMU …) . Des particuliers m'hébergent pendant des nuits . Mais , je dors souvent à la rue “ , affirme Salif , un jeune ivoirien qui est sur “procédure accélérée” depuis cinq(5) mois .

Il reçoit une carte bancaire portant l'inscription “allocation pour demandeur d’asile “ après la signature des conditions matérielles d’accueil .

Une allocation de demandeurs d’asile dont le montant varie selon le nombre de personnes dans la famille lui sera versée dans les 45 jours suivant l’enregistrement de sa demande .


Montant journalier selon la taille de la famille :

1 personne : 6,80 €

2 personnes : 10,20 €

3 personnes : 13,60 €

4 personnes : 17,00 €

5 personnes : 20,40 €

6 personnes : 23,80 €

7 personnes : 27,20 €

8 personnes : 30,60 €

9 personnes : 34,00 €

10 personnes : 37,40 €


Cette somme comprend les aides de

première nécessité (hébergement, nourriture, habillement, produits

d’hygiène...)

Il reçoit un montant supplémentaire de 7,40 € si aucune place d'hébergement ne lui est proposée .

Le paiement se fait mensuellement . Il n’a droit qu’à cinq retraits .

Dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ( CADA ) ou dans une structure similaire , la surface habitable est plus ou moins grande selon les associations . Il peut y habiter seul ou avec un autre demandeur d’asile . Les demandeurs d’asile isolés ont généralement des cuisines et toilettes communes .

Il peut être soumis au paiement d’une caution dont le montant peut aller jusqu'à 150 € par adulte et à 75 € par enfant.

Il peut bénéficier de l’assistance des travailleurs sociaux . Toutefois , certains estiment que cet accompagnement est limité . “ Je me vais souvent voir mon assistante sociale . Mais , je n’arrive pas à lui exprimer souvent mes besoins parce que le temps est insuffisant . Nous sommes des centaines de personnes pour une dizaine d’assistants sociaux . Or , ils ne travaillent pas longtemps . Ils passent une heure ou deux heures avec nous “ , déplore Saïd , un soudanais en procédure normale qui vit dans un PRAHDA .

Les demandeurs d’asile souffrent généralement des troubles mentaux pendant les premiers mois de leur séjour au sein de ces hébergements à cause des violences subies dans les pays d'origine ou de transit et les pressions administratives . " Les soucis tuent en France plus que la maladie . No manger , no dormir " , s'indigne Boy , un jeune ghanéen qui est sur la procédure Dublin .



NB: Les noms ont été modifiés pour garantir l'anonymat des personnes interrogées et certaines parties de l'article ont été enlevées pour des raisons professionnelles ( ndlr) .


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